30ème anniversaire du Dialogue Social européen : Deux pas en avant, un pas en arrière et…deux pas en avant ?

 

jeanlpIl y a 30 ans, le 31 janvier 1985, Jacques Delors venant de prendre ses fonctions de Président de la Commission européenne organisait une réunion au château de Val Duchesse (près de Bruxelles) pour relancer le dialogue social européen. Jean Lapeyre, qui a été secrétaire général adjoint de la Confédération Européenne des Syndicats, témoigne.

Le thème reste tout à fait d’actualité. Nouvelle Commission européenne…nouveau dialogue social ? Une autre belle opportunité pour rapprocher l’Europe des citoyens – Interview.

 

 

  • Jean-Pierre Bobichon – Quand et comment a été lancé le dialogue social européen ?

 

Jean Lapeyre – La Communauté européenne était complétement enlisée en 1984 et Jacques Delors, avant de prendre sa fonction de Président, réalise une tournée des pays membres (10 à l’époque…) pour vérifier sur quelle base il peut redonner une dynamique à cette Communauté. C’est la réalisation du Marché unique qui va faire le consensus mais il faut compléter cette intégration économique par une intégration sociale, d’où cette volonté dès le départ de créer un espace de dialogue et de négociation entre les 3 partenaires sociaux européens existant : la Confédération Européenne des Syndicats (CES), l’UNICE pour les employeurs privés et le CEEP pour les entreprises publiques ou à participation publique. C’est donc à partir de 1985 que se met en place ce dialogue social.

 

  • JPB – Comment s’est t’il développé ?

 

JL – Trois étapes marqueront l’évolution de ce dialogue social.

 

La première étape de 1985 à 1989, sera une période d’initiation, d’apprentissage entre des acteurs qui doivent apprendre à se comprendre. Il n’est pas évident pour un employeur danois de comprendre un syndicaliste grec. Pour passer à un stade de négociation dans l’espace européen, il faut d’abord que chacun puisse comprendre le système des autres. De cette étape sortira une culture commune qui permettra d’établir des principes au niveau européen tout en laissant une large autonomie nationale pour la mise en œuvre.

 

La deuxième étape commence en décembre 1989 avec l’adoption de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs et d’un Programme d’action sociale, qui, grâce au vote à majorité qualifiée introduit dans l’article 118A de l’Acte Unique, va relancer l’initiative législative sociale de la Commission, longtemps bloquée par le principe d’unanimité. La CES, qui avait toujours voulu que le dialogue social prenne une dimension contractuelle, lance l’idée d’une contribution des partenaires sociaux à la réforme du Traité pour ouvrir un espace de régulation négociée. Les employeurs comprennent alors que s’ils ne veulent pas que toute la régulation se fasse par la loi, ils doivent effectivement admettre la négociation au niveau européen. Cette deuxième étape se termine donc en décembre 1991 avec l’adoption du protocole social du Traité de Maastricht, qui reprend l’accord des partenaires sociaux du 31 octobre précèdent et qui situe ceux-ci comme des acteurs de la régulation avec une obligation de consultation par la Commission et la possibilité de suspendre l’initiative législative le temps d’une négociation sur le thème concerné. De plus, un accord conclu par les partenaires sociaux peut obtenir une validation juridique « erga omnes » par le Conseil sur proposition de la Commission. Il s’agit là d’une étape « révolutionnaire » du dialogue social.

 

  • JPB  Quels sont les résultats les plus significatifs ?

 

JL – La troisième étape se situe à partir de 1991 avec justement le passage « à l’acte » de la négociation européenne. Trois accords confédéraux ont été conclus et sont devenus des législations européennes : sur le congé parental, le travail à temps partiel et sur les contrats à durée déterminée. Celui sur le congé parental sera révisé en 2010, portant de 3 à 4 mois ce congé, mais aussi au niveau sectoriel avec des accords sur le temps de travail dans le secteur des transports ferroviaires, du transport maritime et du transport aérien, dans le secteur des hôpitaux avec un accord original sur la prévention des coupures et piqures dans les hôpitaux, sujet extrêmement sensible et important et dans le secteur de la coiffure sur les conditions de santé sécurité (en particulier vis à vis des produits chimiques utilisés). Le développement des comités de dialogue social sectoriel avec le soutien de la Commission a été extraordinaire. Il en existe 43 actuellement sur les conditions de travail spécifiques de ces secteurs en matière de prévention de la santé, de formation professionnelle, de lutte contre les discriminations en particulier entre les femmes et les hommes…des dizaine d’accords et de recommandations sont élaborés et conclus. Il y a une vraie vitalité du dialogue social sectoriel. Mais il faut aussi prendre en compte le développement des Comités d’Entreprises Européens (CEE) pour les groupes multinationaux exerçant dans l’espace de l’UE. Il y en a plus de 900 actuellement et ce sont de nouveaux espaces de dialogue social avec des accords qui peuvent porter y compris sur la gestion des restructurations. Ces CEE servent même de base pour la constitution de Comités mondiaux (Danone, Volkswagen, Renault…) produisant des accords-cadres internationaux conclus entre syndicats et employeurs de ces groupes.

 

  • JPB – La dernière période a été difficile, quelle relance possible ?

 

JL – La crise, le repliement des organisations nationales sur leurs propres problèmes, l’absence de volonté de la Commission européenne de stimuler la politique sociale voire les entraves qu’elle y a mises…tout cela a pesé sur la qualité du dialogue social, en particulier interprofessionnel, et les employeurs ont profité de cette période pour lever le pied.

 

La nouvelle Commission avec Jean-Claude Juncker devrait jouer un rôle nouveau dans la relance du dialogue social et la convocation d’un Sommet, en mars prochain, avec tous les dirigeants européens et nationaux des patronats et des syndicats pourrait être un acte « refondateur » du dialogue social.

 

La crédibilité des partenaires sociaux se jouera aussi dans la qualité du Programme de Travail 2015/2017 qu’ils sont en train de négocier et qui devrait être conclu rapidement

 

 Propos recueillis par Jean-Pierre Bobichon – Membre Fondateur de l’Ipse

 

 

                                            QUELQUES  REPERES :

 

Les acteurs du Dialogue Social Européen :

 

– Employeurs privés : Businesseurope, (ex UNICE) regroupe toutes les 39 confédérations nationales d’employeurs de 33 pays. L’UEAPME qui regroupe 80 organisations des petites et moyennes entreprises de 27 pays est sous le « parapluie » de Businesseurope.

 

– Centre des Employeurs d’entreprises publiques et à participation publique : CEEP qui compte 21 sections nationales et 3 membres directs d’organisations européennes (Pour la France : SNCF, EDF, GDF, ou SNCB pour la Belgique par exemples).

 

Syndicats : Confédération Européenne des Syndicats (CES-ETUC) qui regroupe 88 confédérations nationales de 37 pays et 10 Fédérations européennes sectorielles. La CES prend également sous sa responsabilité le Comité de Liaison des Cadres composé d’Eurocadres

 

Les résultats du Dialogue Social

 

– De 1986 à 2013 les partenaires sociaux interprofessionnels ont conclu 77 textes dont 3 accords cadres (congé parental, temps partiel et contrat à durée déterminée) qui sont devenus des directives (législation communautaire)

 

– Pour le niveau sectoriel, plus de 300 textes ont été négociés dont 5 sont devenus des législations communautaires, quatre sur le temps de travail dans les secteurs des transports ferroviaires, aériens et maritimes et un dans le secteur des hôpitaux sur la prévention des personnels, à propos d’accidents du travail liés à des coupures et piqûres, dans l’exercice de leur métier.