70 ans de la Sécurité sociale : La « sécu » doit rester universelle pour rester solidaire

 

La Sécurité sociale française a fêté son 70ème anniversaire le 4 octobre dernier. Nous avons sollicité,  Jean-Marie Spaeth, ancien Président de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM) et de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse (CNAV), Président de l’Ipse, de nous apporter son regard sur cette grande institution. 

 

Quel enseignement tires-tu de ses 70 ans d’histoire ?

 

La sécurité sociale a été, et elle est toujours, un formidable outil permettant à tous nos concitoyens de faire face aux aléas inhérents à la vie tels que, la maladie, la vieillesse, l’accident, l’invalidité… La « Sécu » – on l’oublie souvent – est un formidable outil de redistribution des richesses.Pour respecter la dignité de chaque personne, l’assurance maladie comme son nom l’indique, a été fondée sur une technique d’assurance sociale généralisée et solidaire : « tout le monde paye selon son revenu et reçoit selon ses besoins ».

 

C’est tout le contraire de l’assistanat. La « Sécu » a permis de construire un système de soins performant, accessible à toute la population qu’il s’agisse de l’hôpital, de la médecine de ville, du médicament, et a permis le développement d’œuvres médico-sociaux.

 

L’assurance vieillesse, fondée sur la répartition et ayant pour corollaire l’obligation de cotiser, a permis dès son instauration de verser un revenu aux personnes âgées, et ainsi de sortir les travailleurs de l’angoisse de la vieillesse sans revenu. Elle permet également, aujourd’hui, de financer une tranche de vie en bonne santé sans exercer une activité professionnelle.

 

Quant à la branche famille, qui n’est pas dans une logique de réponse à un risque, elle a permis de soulager les parents de la charge des enfants, de les aider à se loger, de développer des actions pour favoriser l’épanouissement des enfants issus des classes populaires, mais aussi facilité aux femmes l’accès à la vie professionnelle en finançant le développement des systèmes de garde d’enfants.

 

Le dernier point concerne la gouvernance de la sécurité sociale. Elle a été réfléchie et conçue en 1945 pour promouvoir la démocratie sociale en impliquant les salariés au travers de leurs organisations syndicales et les employeurs au développement et à la gestion de la « Sécu ». C’est ainsi que tous les administrateurs des caisses étaient élus au suffrage universel. La dernière élection remonte à 1983.

 

Autant la partie prestation sociale, avec la participation de la « Sécu » au dynamisme économique des « 30 glorieuses », de redistribution des richesses ou encore d’amortisseur de crise économique, est une grande réussite. Autant la « Sécu » outil de l’apprentissage et du développement de la démocratie sociale n’a pas réussi à atteindre les ambitions des fondateurs. 

 

Quelles sont les perspectives et conditions afin que se poursuive l’organisation de la solidarité par la sécurité sociale ? 

 

De mon point de vue, il faut combattre cette fausse bonne idée qui serait de fusionner la contribution sociale généralisée (CSG) et l’impôt. L’impôt est progressif et n’est jamais affecté. La CSG a le statut de cotisation, elle est proportionnelle au revenu, et est affectée. Par ailleurs, l’effet redistributif, bien plus importante que l’impôt, se fait au moment où l’on verse des prestations.

 

La retraite est clairement dans une logique de salaire différé et se fonde sur des cotisations reposant sur la masse salariale, dont la gestion relève des partenaires sociaux. Il est temps après l’universalisation de la branche famille, de l’assurance maladie, d’universaliser nos régimes de retraite sans remettre en cause les droits acquis.

 

Quant à la politique familiale, elle est financée sous de multiples aspects (cotisations fondées sur les salaires, impôt au travers le quotient familial, intervention des collectivités locales, etc.). Elle relève déjà pour l’essentiel de la puissance publique et des collectivités territoriales. Au travers des exonérations de charges patronales compensées par l’Etat, nous sommes très largement sortis d’un financement par les revenus du travail. Il faut maintenant en tirer les conséquences et aller au bout de la logique.

 

S’agissant de l’assurance maladie, au fil des réformes, les pouvoirs des Conseils d’administration ont été largement réduits. Les agences régionales de santé (ARS) se sont créées. Elles seront 13 à la fin de l’année. Il me semble urgent d’avoir également une agence nationale et de déléguer davantage au niveau territorial. Tout comme il est urgent de donner un contenu médical aux dépenses de santé en privilégiant le bon soin et les soins utiles. La médecine est une science précise. Les protocoles, les références médicales ainsi que les prescriptions médicamenteuses tels que  définies par la haute autorité de santé doivent être opposable à tous les professionnels de santé et aux patients.

 

Les complémentaires santé généralisées à toute la population doivent jouer un rôle actif, particulièrement en soins de ville pour réguler l’offre de soins. Il faut éviter que la « Sécu » ne se recentre que sur l’accès aux soins pour les pathologies lourdes et invalidantes ainsi que sur la population pauvre. La « Sécu » doit rester universelle pour rester solidaire. C’est la seule manière de respecter la dignité de chaque personne.

 

 

Propos recueillis par Jean-Pierre Bobichon, Administrateur de l’Ipse