La Cour de justice européenne se prononce pour l’égalité des salaires entre nationaux et détachés

 

égalité travailleurs et détavhés

Dans un arrêt (C-396/13) du 12 février dernier, la Cour de justice de l’UE a tranché en faveur de la protection des travailleurs détachés, prônant une égalité des salaires entre nationaux et détachés et reléguant le principe de libre prestation de service au second plan. La Cour a clarifié la notion de « taux de salaire minimal » devant être appliquée aux salariés détachés et jugé notamment que la directive relative au détachement de travailleurs (96/71) ne s’oppose pas à un calcul du salaire minimal fondé sur le classement des travailleurs en groupes de rémunération, conformément aux dispositions d’une convention collective d’application générale de l’État membre d’accueil.

 

Dans cette affaire, la société polonaise ESA a détaché 186 travailleurs, sous contrats de travail régis par le droit polonais, auprès de sa succursale finlandaise en vue d’une prestation de travail relevant du secteur de la construction. Les travailleurs détachés, constatant que la rémunération minimale prévue par les conventions collectives finlandaises de leurs branches (électrification et installations techniques du bâtiment) ne leur avait pas été accordé, ont sollicité un syndicat finlandais auquel ils  ont cédé individuellement leurs créances, afin qu’il en assure le recouvrement.

 

Devant le tribunal de première instance finlandais, le syndicat soutient que lesdites conventions collectives prévoient un calcul de la rémunération minimale des travailleurs fondé sur des critères plus favorables que ceux appliqués par ESA, tels que le classement des travailleurs par groupes de rémunération, l’octroi de pécules de vacances, d’indemnité journalière, d’indemnité de trajet, prise en charge de l’hébergement. Quant à la société ESA, elle fait valoir que la syndicat finlandais ne dispose pas de la qualité à agir au nom des travailleurs détachés, au motif que le droit polonais interdit la cession de créances découlant d’une relation de travail.

 

Ayant quelques doutes sur l’interprétation du droit de l’UE, la juridiction finlandaise décide de surseoir à statuer, afin d’interroger la CJUE notamment sur la capacité à agir du syndicat finlandais et le taux de salaire minimal applicable aux salariés détachés.

 

Syndicats finlandais compétents et même salaire minimum pour les détachés

 

Concernant la qualité à agir du syndicat finlandais, la Cour mentionne l’article 3 paragraphe 1 de la directive sur le détachement des travailleurs qui dispose que les taux de salaire minimal sont régis, « quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, [par] l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté ». La Cour en conclut donc que « la réglementation figurant dans le code du travail polonais, invoquée par ESA, est dénuée de pertinence au regard de la qualité pour agir  [du syndicat finlandais,] et ne fait pas obstacle au droit de ce dernier d’introduire un recours ».

 

Quant aux taux de salaire minimal, la CJUE rappelle que la directive 96/71 vise un double objectif : assurer une concurrence loyale entre les entreprises nationales et celles effectuant une prestation de services transnationale et protéger les travailleurs détachés en leur appliquant un noyau de règles impératives de protection minimal de l’Etat membre d’accueil.

 

La Cour relève par ailleurs que, conformément à l’article 3 paragraphe 7 de la directive 96/71, la définition des éléments constitutifs de la notion de salaire minimal est de la compétence de l’Etat membre d’accueil, dès lors qu’elle « n’a pas pour effet d’entraver la libre prestation des services entre les Etats membres ». Ainsi, la Cour juge que la prise en charge par l’employeur des dépenses liées au logement, ainsi que la remise de bons d’alimentation ne sauraient constituer des éléments du salaire minimal, contrairement à l’indemnité journalière et à l’indemnité du temps de trajet, qui doivent être qualifiées d’allocation propre au détachement et donc faire partie du salaire minimal. Concernant le pécule de vacances, la Cour estime qu’il doit leur être accordé pour la durée minimale des congés annuels payés, sur la base du salaire minimal auquel ils ont droit durant la période de référence.

 

Quant au point épineux de l’affaire, la CJUE conclut que la directive « détachement » ne s’oppose pas à un calcul du salaire minimal fondé sur le classement des travailleurs en groupes de rémunération, « à condition que ce calcul et ce classement soient effectués selon des règles contraignantes et transparentes, […] qu’il incombe au juge national de vérifier ».

 
« L’égalité salariale l’a emporté sur le dumping social »

 

La Secrétaire confédérale de la Confédération européenne des syndicats (CES), Veronica Nilsson, saluant la décision de la CJUE, a déclaré que : « Cet arrêt marque un début de rupture par rapport à la jurisprudence du cas Laval de 2007. Se basant sur la jurisprudence Laval, l’opinion de l’avocat général considérait le principe d’égalité salariale entre tous les travailleurs comme un obstacle à la libre prestation de services et une protection injustifiée du marché du travail national. […] La Cour s’est largement démarquée de cette opinion, et a considéré que le travailleur détaché doit être rémunéré au moins au même niveau qu’un travailleur national pour les mêmes tâches.
C’est donc le principe de l’égalité salariale qui l’a emporté sur le dumping social et la compétition à tout prix. Nous saluons ce jugement qui était absolument nécessaire pour la dignité des travailleurs détachés ».

 

Rappelons, cependant, que dans l’arrêt Laval  (C-341/05), pour écarter l’application du salaire minimal, la CJUE avait soulevé qu’il était « constant que les conventions collectives [suédoises] ne [soient] pas déclarées d’application générale » et, à ce titre, avancé l’argument de « l’absence de dispositions de quelque nature que ce soit, qui soient suffisamment précises et accessibles pour ne pas rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile la détermination […] des obligations qu’elle devrait respecter en termes de salaire minimal », tout en admettant que « le droit communautaire n’interdit pas aux États membres d’imposer […] le respect de leurs règles en matière de salaire minimal par les moyens appropriés », telles des convention collectives à application générale, comme c’est le cas dans l’arrêt étudié.