Le rapport accablant d’OXFAM France sur le partage des richesses

 

Depuis 2009, les actionnaires du CAC 40 ont capté deux tiers des bénéfices dégagés par les grandes entreprises françaises. Telle est la conclusion d’un rapport accablant publié le 11 mai par l’ONG Oxfam France avec le concours du Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic). Autre fait particulièrement accablant pour OXFAM France, les 40 plus grandes entreprises françaises ont développé des stratégies d’évitement fiscal pour le moins sophistiquées afin de maximiser leurs profits. Bien que sa méthodologie soit contestée par certains économistes, le rapport interpelle sur le manque d’initiative politique afin de privilégier une gouvernance plus équitable dans l’entreprise, une meilleure redistribution des richesses et la sortie des logiques court-termistes.

 

En 2009, dans une allocution remarquée, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, appelait au respect de la règle des trois tiers pour les grandes entreprises dégageant d’importants bénéfices. Cette règle peut se décliner selon le principe suivant. En cas de bénéfices dégagés par une entreprise, un tiers d’entre eux doit revenir aux actionnaires sous forme de dividendes, un tiers aux salariés sous forme de primes et le dernier pour l’investissement et l’innovation. Un an après la crise des subprimes, l’heure était à une plus grande transparence dans la gouvernance des entreprises et à une plus juste redistribution des richesses. Le vieux serpent de mer de la participation et de l’intéressement des salariés, idée longtemps portée par les franges sociales de la famille gaulliste, refaisait même surface dans le débat public.

 

Depuis ces annonces fracassantes, les grandes entreprises françaises se sont-elles inspirées de cette fameuse règle des trois tiers ? Rien ne semble l’indiquer, c’est même le chemin inverse qui a été emprunté par le CAC 40 à en croire l’étude particulièrement fouillée d’OXFAM France. Celle-ci indique que depuis 2009, les rémunérations des actionnaires des sociétés cotées en bourses ont augmenté deux fois plus vite que celles des salariés. D’une manière générale, les actionnaires touchent des sommes importantes quoiqu’il arrive, même en cas de recul significatif du chiffre d’affaires. Ce poids des dividendes dans ce partage inéquitable de la richesse se fait donc au détriment de l’investissement et des salariés. Si la réalité de ce déséquilibre dans les rémunérations diffère parfois sensiblement entre les différents groupes du CAC 40, la France demeure à ce jour championne pour la rémunération des actionnaires parmi les États membres de l’UE.

 

Filiales implantées dans des paradis fiscaux, rémunération des dirigeants en hausse constante malgré de mauvaises performances, le rapport d’OXFAM France dresse un tableau particulièrement sombre de la gouvernance des grandes entreprises françaises. Dressant une série de recommandations à destination du gouvernement, l’ONG appuie notamment un encadrement plafonné de la rémunération des actionnaires et une meilleure redistribution de la richesse à destination des salariés.

 

Si la presse libérale dénonce un rapport « biaisé » et « idéologique », et que certains économistes orthodoxes dénoncent avec véhémence sa méthodologie, ce rapport intervient dans un contexte politique particulier. Le gouvernement français planche en effet à travers la loi PACTE à élargir l’objet social des entreprises à d’autres finalités que la recherche du profit. Cette loi sera présentée début juin en conseil des ministres et sera discutée dans la foulée au Parlement.

 

A cette fin, le gouvernement devrait s’appuyer sur le rapport issu d’une mission qu’il a confiée à Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard. Présenté le 9 mars, celui-ci défend notamment une limitation du rôle des actionnaires dans la gouvernance des entreprises, une plus grande participation des salariés aux décisions qui engagent durablement l’avenir de l’entreprise. Incitant également à une meilleure prise en compte de l’objet environnemental et social des entreprises, l’esprit de ce rapport fait pourtant l’objet de sérieuses divergences au sein du gouvernement d’Édouard Philippe. La France pourrait-elle prendre à cette occasion « le leadership de la lutte contre les inégalités » comme le souhaitent OXFAM et le BASIC ? Les prochains arbitrages nous le diront.