L’Italie à la croisée des chemins

Membre fondateur de l’Union européenne et de la Zone euro, l’Italie a longtemps été le pays où l’opinion était la mieux disposée à l’égard de la construction européenne. Les récentes élections générales qui ont porté au pouvoir une coalition populiste indiquent un changement d’esprit assez radical dans la population italienne. Tenue pour responsable de la crise économique comme de la crise migratoire, l’Union européenne a été sanctionnée dans les urnes par plus d’un électeur transalpin sur deux. Comment expliquer un tel revirement ? Fruit d’un compromis entre deux formations hétéroclites, le nouveau gouvernement italien représente-il une véritable menace pour la stabilité des institutions européennes ?

 

Les italiens et l’Union : de l’adhésion au désamour

Troisième économie de la zone euro mais deuxième pays le plus endetté, l’Italie est depuis plusieurs années le théâtre d’une importante crise politique.  Dans le viseur de la Commission européenne pour son importante dette publique, le pays a engagé de profondes réformes sous le gouvernement de centre-gauche de Mattéo Renzi. Initié en 2014, la réforme du marché du travail connu sous le nom de Job Act n’a toutefois pas auguré sa promesse d’une réduction massive du taux de chômage qui stagne aujourd’hui autour de 11,7%.

Le ressentiment contre les politiques d’austérité explique pour partie la déroute électorale de la grande coalition de centre-gauche. Perçue comme responsable de ces politiques, la chancelière allemande Angela Merkel demeure la principale cible des deux formations populistes qui se partagent désormais le pouvoir. La volonté allemande d’accueillir massivement des réfugiés est une autre source de ressentiment à l’égard de l’Allemagne. Principale porte d’entrée avec la Grèce pour les migrants, l’Italie a enregistré entre 2014 et 2017 l’arrivée de 630 000 migrants sur son territoire. Pour beaucoup d’italiens, le manque de solidarité des États membres de l’UE devant ces arrivées massives a provoqué un sentiment de défiance ténu envers les institutions européennes.

 

Le gouvernement Conte peut-il renverser la table ?

La lente formation d’un gouvernement de coalition entre les deux mouvements arrivés en tête du scrutin général de mars a cristallisé de nombreuses inquiétudes. La décision du président de la République Sergio Matarella de retarder la nomination du juriste Giovanni Conte au poste de premier ministre a manqué de provoquer de nouvelles élections anticipées. Le président italien avait motivé son refus devant la volonté des formations populistes de nomme l’eurosceptique Pietro Savona au poste de ministre de l’Economie. Attaquée sur les marchés financiers à la suite de cette crise institutionnelle, l’Italie et son gouvernement doivent désormais marcher sur des œufs.

Le compromis entre les deux formations populistes prévoit un plan de relance de 125 milliards d’euros. Pour beaucoup d’économistes, ce plan relève plus d’intentions que d’objectifs concrets. Sous pression des autres Etats membres de l’UE, le gouvernement de Giovanni Conte devra certainement revoir ses ambitions à la baisse. L’instauration prochaine d’une « flat-tax », qui prévoit un taux d’imposition unique à hauteur de 15% pour les particuliers et les entreprises semble indiquer que le gouvernement Conte cherche à attirer les investisseurs étrangers et se démarquer d’une image anti-libérale. Rien ne semble indiquer pour l’instant que le gouvernement italien s’engage sur une remise en cause draconienne des politiques d’austérité.

Il semble également présomptueux de dire aujourd’hui si la coalition populiste est partie pour durer. Les disparités entre la Ligue du Nord et le Mouvement Cinq Etoiles sont légion. En dépit de visées communes en matière de politique étrangère et migratoire, leurs électorats présentent de profondes différences. Au demeurant, le Mouvement Cinq étoiles, initié par l’humoriste Beppe Grillo, a fait récemment montre d’un fort engagement européen. En 2017, les tractations allaient bon train au Parlement européen pour que le Mouvement rejoigne le groupe ALDE, composé de formations centristes favorables à une Europe fédérale. Voulue par le belge Guy Verhofstadt cette alliance n’a pas vu le jour en raison de la forte opposition de parlementaires guidée par l’eurodéputée française Sylvie Goulard.

 

La société civile et les syndicats inquiets pour les libertés publiques

La nomination de Matteo Salvani au poste de ministre de l’Intérieur a provoqué de fortes inquiétudes au sein de la société civile. Le leader de la ligue du Nord, connu comme le tenant d’une ligne très dure contre l’immigration, laisse craindre des situations arbitraires et préjudiciables aux droits humains avec sa volonté d’expulser massivement des clandestins…

 

La situation politique italienne interpelle à plus d’un titre. L’émergence des formations populistes n’est pas un phénomène isolé à la péninsule. Le ressentiment à l’égard d’une Union européenne perçue comme technocratique et indifférente aux réalités sociales s’observe dans l’ensemble des Etats membres. Comment, dès lors, réenchanter le rêve européen ? Ce défi est particulièrement urgent au risque de voir l’Europe dirigée par des formations autoritaires et démagogiques…