Santé : Il faut enfin choisir un cap

jmsPar Jean-Marie Spaeth, Président de l’Ipse

 

Une loi santé est en débat au parlement en France. Depuis plusieurs décennies, tous les gouvernements qui se sont succédé ont fait voter des réformes sans jamais indiquer explicitement le cap pour les 30 ans à venir. La santé, l’accès aux soins sont des sujets sociétaux majeurs car il s’agit de la vie et de la mort de nos citoyens et d’enjeux économiques sans nulle comparaison : 247 milliards d’euros dont 93,5% sont financés par des prélèvements obligatoires ou mutualisés dans des complémentaires.
Le fond du dossier est connu mais il faut toujours le rappeler.

 

On n’est pas malade par plaisir. La maladie est un épisode, un état unique comparable à nul autre dans la vie d’un être humain. Quand on souffre, le concept de liberté individuelle ou du libre arbitre n’a pas de sens. S’agissant de l’offre de soins, la médecine n’est pas un art, mais une science nécessitant de longues études, une science bien sûr évolutive mais précise, définie au travers de protocoles de soins, de références médicales ou encore de parcours médicaux déterminés par les sociétés savantes et la Haute Autorité de Santé. Le nombre de professionnels de santé, le contenu et les pratiques médicales sont réglementés. Les produits médicaux, les médicaments nécessitent un agrément de l’État. En France la quasi-totalité des dépenses de santé résulte d’une prescription dûment signée par un médecin.

Il est évident que, quel que soit l’angle d’approche des questions de santé et d’accès aux soins de nos concitoyens, la gestion et la régulation du système ne rentrent dans aucun standard de l’économie de marché ou de la libre concurrence.

 

A chaque réforme,  ce sont surtout  les lobbys et les corporatismes qui  se font entendre au nom d’un consommateur qui évoluerait dans un univers économique parfait. Or, c’est bien le patient qui doit être au centre du système de soins. Cela nécessite donc des réformes qui s’inscrivent dans un axe stratégique porté sur la durée et qui respecte notre dispositif fondé sur la solidarité. Deux axes stratégiques implicites  inspirent  aujourd’hui  les décideurs, qu’il s’agisse des acteurs de la société civile ou des politiques : la mise sous critère de ressources de l’assurance maladie d’une part et l’approche médico-économique  d’autre part.

 

Le premier axe consiste à instaurer un reste à charge annuel pour les soins de ville qui serait modulé en fonction du revenu des ménages et plafonné. Cet axe stratégique, appelé « bouclier sanitaire », a l’avantage de garantir l’accès aux soins des plus défavorisés, mais n’a aucune prise, bien au contraire, sur les tarifs anarchiques, les prescriptions et actes inutiles. Il est en rupture avec les fondements de la sécurité sociale, qui se caractérisent par l’idée que tout le monde cotise proportionnellement à ses revenus – tous ses revenus, c’est la cotisation sociale généralisée  CSG – et reçoit selon ses besoins. Il s’agit d’être soigné selon les meilleurs standards, quel que soit sa pathologie et quel que soit son revenu. Introduire un critère de ressources conduit à organiser plusieurs catégories de patients, plusieurs attitudes et réponses médicales.

 

Le second axe stratégique consiste à fonder l’offre de soins, la régulation et l’organisation du système de soins sur des critères exclusivement médicaux et médico économiques, et cela, pour tous les actes et produits éligibles au remboursement. Cet axe stratégique, appelé « panier de biens et de services », a l’avantage de réguler l’offre de soins sur des bases médicales universelles, comme l’est déjà le financement. Il est l’expression de la fraternité, de la solidarité et du respect de la dignité de chaque personne. Dans ces conditions, les dépenses éligibles au remboursement sont prises en charge à 100 %, d’une manière partenariale entre la sécurité sociale obligatoire et les complémentaires-santé généralisées. Cela implique de donner un contenu médical à la loi annuelle de financement de la sécurité sociale.

Les protocoles de soins, les références médicales, les parcours de soins, tels que définis par la communauté scientifique, devront être opposables aux professionnels de santé comme aux patients. Il s’agit de promouvoir une responsabilité partagée entre professionnels et malades.
Il ne s’agit pas d’organiser l’uniformité mais, au contraire, l’émulation et l’innovation, particulièrement par les organismes complémentaires, sur l’organisation et les pratiques médicales en ayant le meilleur rapport qualité prix pour les patients, et non sur les dépassements d’honoraires et des actes inutiles, comme cela se dessine actuellement avec la généralisation des complémentaires-santé.

 

Choisir ce second axe médico-économique fondé sur la solidarité entre bien portants et malades, avec un panier de biens et de services explicites et opposables aux professionnels et aux patients, est souhaitable bien que pas des plus simples car il touche aux comportements de tous. Cela implique l’engagement de la communauté scientifique et l’implication des professionnels de la santé, quel que soit leur mode de rémunération et leur lieu d’exercice. Ces acteurs ont incontestablement une mission de service public. Il est de la responsabilité des pouvoirs politiques de donner une dimension sanitaire opérationnelle aux lois annuelles de financement de la sécurité sociale. En clair, ils ont le devoir de promouvoir la démocratie sanitaire, en rendant explicite et public le lien entre financement, santé individuelle et intérêt collectif.