2015

Déclaration de Luxembourg : six Etats s’engagent en faveur de l’économie sociale et solidaire

L’Ipse était présent à la conférence organisée les 3 et 4 décembre par la présidence luxembourgeoise de l’Union européenne sur la promotion de l’économie sociale et solidaire (ESS). Cet évènement a marqué d’une part la conclusion des six mois de présidence durant lesquels le ministre du travail luxembourgeois, Nicolas Schmit, a œuvré de manière acharnée en faveur de l’ESS, et d’autre part le lancement d’une coopération entre six Etats membres afin de poursuivre sur cette voie.

 

Le 7 décembre dernier, pour la première fois, le Conseil emploi et politique sociale (EPSCO), instance qui réunit les ministres européens responsables de ces domaines, a adopté des conclusions sur l’économie sociale et solidaire en tant que moteur essentiel du développement économique et social en Europe. Ces conclusions ont une importance politique puisqu’elles vont inciter la Commission européenne à élaborer des propositions concrètes en faveur de l’ESS. Au cours de ces six derniers mois, Nicolas Schmit a fait de l’économie sociale et solidaire l’une de ses priorités et a pu compter sur le soutien du Parlement européen, notamment de l’Intergroupe économie sociale auquel l’Ipse participe, ainsi que sur celui du Comité économique et social européen. Alors que la Commission précédente, à la fin de sa mandature, avait soutenu des initiatives en ce sens, la Commission actuelle semble avoir « négligé » l’ESS. Preuve en est, la conférence de

Luxembourg a été désertée par les commissaires européens, alors qu’en janvier 2014, trois commissaires avaient participé à l’évènement « Entrepreneurs sociaux : prenez la parole », qui s’était tenu à Strasbourg. Grâce aux conclusions du Conseil EPSCO, les acteurs de l’ESS espèrent que la Commission sorte de son inertie et passe enfin à l’action.

 

Afin de veiller à ce que les conclusions du Conseil EPSCO soient réellement mises en œuvre, six Etats membres (Luxembourg, France, Italie, Espagne, Slovaquie, Slovénie) ont adopté la Déclaration de Luxembourg, dans laquelle on demande que l’ESS ait toute sa place au sein de l’économie européenne. Le marché unique n’est pas encore une « réalité tangible » pour la plupart des entreprises de l’économie sociale, alors qu’elles pourraient contribuer davantage à la création d’emplois et à la cohésion sociale. Le groupe des six Etats invite la Commission « à intégrer davantage l’idée d’innovation sociale et les investissements sociaux liés à l’économie sociale dans le cadre de la révision de la stratégie UE 2020 ».

 

Ce groupe informel de six Etats membres est un noyau dur autour duquel pourront être construits des projets d’échelle européenne qui permettront aux entreprises sociales de se développer sur le marché unique « sans contrainte de statut ». Martine Pinville, secrétaire d’Etat française chargée du commerce, de l’artisanat et de l’économie sociale et solidaire, a considéré la déclaration comme une « brique qui permettra d’aboutir à terme à une vision européenne partagée ». Elle a également proposé la création d’un fond pour l’innovation sociale, la mise en place de pôles de coopération ainsi que l’ouverture de l’économie à des « prestations d’utilité sociale proposées par nos entreprises ».

 

Le secrétaire d’Etat slovaque en charge du travail, des affaires sociales et de la famille, Branislav Ondrus, a annoncé qu’une conférence sur l’économie solidaire aura lieu à Bratislava en décembre 2016, dans le cadre de la présidence slovaque de l’Union européenne.

_____________________________________________________________________

Clause de désignation : la CJUE se prononce à nouveau

Les clauses de désignation, que nous évoquerons sous l’angle des conventions collectives de sécurité sociale lors du 15ème Colloque professionnel Ipse, du 29 janvier prochaine, sont à nouveau sur le devant de la scène juridique. Dans un arrêt du 17 décembre dernier, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur deux affaires jointes (C-25/14 et C-26/14) portant sur l’extension d’accords de branches professionnelles désignant un assureur unique en santé et prévoyance pour l’ensemble des entreprises régit par lesdits accords. La CJUE a jugé en l’occurrence, que la procédure mise en place était contraire au droit européen liée à l’obligation de transparence.  

 

Dans le cadre de deux affaires jointes – la première opposant l’Union des syndicats de l’immobilier (UNIS) au Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle et du Dialogue social et au Syndicat national des résidences de tourisme (SNRT), la seconde la SARL Beaudout Père et Fils au Ministère du Travail, à la Confédération nationale de la boulangerie et à la Fédération générale agro-alimentaire, CFDT – l’Unis et la boulangerie Beaudout ont introduit un recours contre les arrêtés d’extension d’accords de branche désignant un assureur unique en santé pour l’un et en prévoyance pour l’autre, estimant que l’obligation de transparence lors de la désignation n’aurait pas été respectée.

 

Le Conseil d’Etat, saisi de ces deux affaires, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour luxembourgeoise la même question préjudicielle dans les deux cas : « Le respect de l’obligation de transparence qui découle de l’article 56 TFUE est-il une condition préalable obligatoire à l’extension, par un État membre, à l’ensemble des entreprises d’une branche, d’un accord collectif confiant à un unique opérateur, choisi par les partenaires sociaux, la gestion d’un régime de prévoyance complémentaire obligatoire institué au profit des salariés ? »

 

La Cour rappelle dans un premier temps que, dans le cas de prestations de services impliquant une intervention des autorités nationales, l’obligation de transparence s’applique uniquement à « celles qui présentent un intérêt transfrontalier certain, du fait qu’elles sont objectivement susceptibles d’intéresser des opérateurs économiques établis dans [d’autres] États membres ». Elle précise par ailleurs que « la création d’un droit exclusif par l’autorité publique implique, en principe, le respect de l’obligation de transparence ». La Cour poursuit : « l’obligation de transparence découle des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, dont la libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE exige le respect » et que l’absence de transparence induit une différence de traitement vis-à-vis de l’ensemble des entreprises potentiellement intéressées situées dans d’autres Etats membres.

Pour satisfaire cette obligation, la CJUE n’impose pas de procéder à un appel d’offres, mais exige « un degré de publicité adéquat permettant, d’une part, une ouverture à la concurrence et, d’autre part, le contrôle de l’impartialité de la procédure d’attribution ». En l’espèce, la Cour estime que cette condition n’est pas remplie, malgré la possibilité de consulté lesdits accords et leurs avenants sur Internet, la publication dans le journal officiel d’un avis prévoyant l’extension, ou encore la possibilité pour tout intéressé de faire connaître ses observations.

 

Au vu de l’ensemble des éléments mis à sa disposition, la Cour juge que l’obligation de transparence s’oppose en l’espèce à l’extension, par un Etat membre, d’un accord de branche qui confie à un unique opérateur la gestion d’un régime de prévoyance ou de frais de santé, sans que la réglementation nationale prévoie une publicité adéquate permettant de choisir l’offre la plus avantageuse. La CJUE a en outre, accédé à la demande du gouvernement français en limitant les effets dans le temps de l’arrêt. En effet, les accords de branches santé ou prévoyance ayant fait l’objet d’une extension avant la date de prononcé du présent arrêt, ne sont pas concernés par celui-ci, sans préjudice des recours juridictionnels introduits avant cette date.

_________________________________________________________________________

Les socialistes européens présentent leur manifeste pour une Europe plus sociale

Réunis en session plénière à Strasbourg le 16 décembre dernier, les députés européens socialistes ont relancé le débat sur l’Europe sociale, en avançant une série de propositions contenues dans un manifeste intitulé « Pour une politique sociale et progressive européenne, refocalisée sur les gens ». Les domaines dans lesquels les socialistes souhaitent un renforcement du volet social sont nombreux, allant de la lutte contre le chômage et la réduction des inégalités, à l’accès aux soins et au numérique.

 

L’absence d’une Europe réellement sociale, peut-elle définitivement condamner le projet européen ? Du moins, c’est la crainte du groupe des Socialistes et Démocrates au sein du Parlement européen (S&D), qui, pour éviter ce scénario catastrophique, propose des mesures pour renforcer la dimension sociale de l’Union européenne. La nouvelle gouvernance économique issue des décisions prises pour faire face à la crise économique, et plus précisément le Semestre européen, a eu pour conséquence la subordination des politiques sociales aux objectifs de discipline fiscale et d’austérité budgétaire et l’Ipse le regrette. De plus, les acquis du modèle social européen, telles la négociation collective et la protection sociale, sont de plus en plus remis en question par les courants libérale et conservateur, qui les considèrent comme étant des obstacles à la création d’emplois et à la croissance.

 

Les socialistes européens estiment nécessaire un renforcement de la dimension sociale de l’Union économique et monétaire (UEM), notamment avec la création d’une « Eurogroupe social » et la mise sur un pied d’égalité des indicateurs économiques et sociaux dans la procédure de déséquilibre macroéconomique. Afin de s’attaquer au chômage des jeunes, le groupe S&D propose une augmentation substantielle des financements pour la garantie européenne pour la jeunesse.

 

Le manifeste souligne le rôle joué par les systèmes de protection sociale dans la stabilisation de nos sociétés, secouées par la crise économique et l’afflux de migrants fuyant des pays en guerre. L’Ipse estime qu’une politique sociale européenne plus cohérente serait à même de garantir des systèmes de protection sociale viables, un meilleur accès au marché du travail et une intégration efficace des migrants. A ce titre, l’Ipse salue la proposition des socialistes européens de créer un Fonds européen pour la protection sociale qui viendrait aider les États membres lors d’une crise exceptionnelle causant une hausse importante de bénéficiaires sociaux, afin d’assurer les services de protection sociale. Le document appelle également à la mise en place d’un socle de protection sociale accessible à tous les citoyens européens ; un outil pour lequel Ipse œuvre depuis longtemps. Enfin, un index du progrès social assorti d’objectifs obligatoires, mesurant les inégalités sociales et les inégalités des chances, devrait être intégré à la Stratégie Europe 2020 et à l’Examen annuel de la croissance.