La révision de la directive sur le détachement des travailleurs divise toujours

Depuis 2007 et une série d’arrêts rendus par la Cour de justice européenne, la directive européenne sur le détachement des travailleurs a perdu en lisibilité. Au mois de mars 2012, la Commission européenne a présenté une refonte du texte afin de clarifier son contenu. Si quelques avancées ont pu être saluées par les partenaires sociaux, le flou demeure encore sur de nombreux points.

 

 

 La Commission a présenté le 21 mars 2012 une version remaniée de la directive qui devra être soumise au Conseil et au Parlement Européen avant la fin de cette année. Dans son projet de révision, la Commission estime à 1 million le nombre de salariés détachés dans l’Union. Pour concilier l’exigence de cohésion sociale avec le fonctionnement du Marché Unique, le nouveau texte souligne la nécessité d’établir une meilleure coopération administrative entre Etats membres. L’idée étant de garantir les droits fondamentaux des travailleurs détachés sans contrevenir aux besoins des entreprises.

 

Une avancée a été réalisée au niveau de la protection juridique des salariés, avec l’établissement du principe de « responsabilité solidaire » dans le cadre du non-versement d’un salaire à un travailleur détaché. Cette nouvelle disposition pénalise les entreprises dont les sous-traitants ne garantiraient aucun droit aux travailleurs détachés.

L’esprit de la nouvelle directive apparait comme une tentative de compromis entre les positions défendues par les syndicats et le patronat européens. Toutefois, parlementaires et partenaires sociaux ont souligné quelques limites à ce texte, notamment sur la définition des critères définissant une situation de détachement. Les craintes sur le « dumping social » n’ont également pas été dissipées. Le fait qu’aucune durée maximum de détachement ne soit envisagée pour les travailleurs concernés par cette situation laisse présager de futurs déséquilibres, les employeurs pouvant tirer profit sur le long terme d’un coût du travail plus bas offert par les travailleurs issus des pays aux minimas salariaux les plus faibles.

 

C’est en ce sens que le Comité Economique et Social Européen (CESE) appelle la Commission à clarifier certaines dispositions prévues dans la directive. Dans un avis adopté le 19 septembre dernier, le CESE pousse également les Etats membres à adopter des conditions d’emploi minimales et identiques pour éviter toute concurrence déloyale entre travailleurs. Associé au processus normatif de la Commission, le Parlement européen n’est actuellement pas en mesure d’adopter une position de consensus sur le contenu de la directive. A l’image de Danuta Jazlowiecka, eurodéputé polonaise (PPE) et rapporteur sur cette question,  les parlementaires issus des pays à forte attraction économique semblent principalement déterminés à défendre le taux d’employabilité de leur population à travers l’Union.

 

Ces divergences d’approche sur la question ont émaillé la récente réunion du Conseil de l’UE du travail. Réunis à Bruxelles le 6 décembre, les ministres des affaires sociales des 27 se sont notamment opposés sur les mesures de contrôle nationales des entreprises ainsi que sur le principe de « responsabilité solidaire ». Là encore, un front semble se dessiner entre les pays aux conceptions divergentes quant à la flexibilité du marché du travail. Ainsi le Royaume-Uni, la République Tchèque et la Hongrie ont fait part de leur opposition totale à l’introduction de cette mesure dans la directive à l’inverse d’une coalition menée par la France et l’Allemagne. La perspective d’un compromis semble s’éloigner sur ce sujet, d’autant que l’Irlande, amenée à occuper la présidence du conseil en janvier fait montre « d’une très grande prudence » sur l’ensemble des dispositions prévues dans le texte.   

 

 

 Libre prestation de services et droits sociaux : ce que dit le droit communautaire

 

Droit fondamental dans l’Union européenne, la libre circulation des travailleurs soulève pourtant de nombreux problèmes aux Etats membres. L’inégalité de traitement entre les salariés constitue la principale critique dirigée à l’endroit de ce principe.

 

En 1996, la Commission adopta une directive censée contenir ce phénomène et garantir les droits fondamentaux des salariés détachés dans le cadre d’une prestation de services. Excepté l’exigence d’un salaire minimum – certains pays comme la Suède  n’ayant jamais fixé un seuil en la matière – les Etats membres étaient tenus de respecter les droits des travailleurs en termes de congés payés et de non-discrimination à l’embauche.

 

En 2004, l’élargissement de l’Union à dix nouveaux pays fragilise la directive. Les dix nouveaux entrants disposent en effet d’une main d’œuvre « bon marché », particulièrement prisée par certaines entreprises dans des secteurs tels que la restauration ou le bâtiment.

 

En 2007, une controverse de taille nait suite à l’affaire « Viking », quand la compagnie finlandaise de ferries éponyme entend battre pavillon estonien afin d’engager une main d’œuvre dont les minimas salariaux sont inférieurs aux conventions finlandaises. Saisie par les syndicats finlandais, la  Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) leur infligea un sérieux camouflet. Les magistrats établirent en effet une hiérarchie de fait entre les libertés économiques et la pertinence du maintien des conventions collectives.

 

Deux autres affaires d’une nature similaire – « Laval » en Suède (2007), « Rüffert » en Allemagne (2008) –  donnèrent à la Cour le moyen d’expliciter plus amplement sa vision de la directive. La Cour attaqua essentiellement le principe des conventions collectives locales ou sectorielles, pilier des systèmes de « flexisécurité » des pays nordiques.

 

En 2008, ce fut au tour du Luxembourg de subir les foudres de la CJUE pour sa mauvaise application de la directive. Le Duché fut notamment mis à l’index pour ses entraves répétées à l’implantation de prestataires étrangers sur son sol.