L’avenir du travail au cœur du centième anniversaire de l’OIT

La conférence annuelle de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) s’est ouverte lundi 10 juin à Genève.  A cette occasion, l’OIT a mis au centre de ses travaux la lutte contre le harcèlement et une déclaration sur l’avenir du travail face aux nouveaux défis comme le changement climatique et les nouvelles technologies. Cette conférence annuelle est surtout l’occasion de célébrer les 100 ans de cette institution tripartite des Nations unies, réunissant gouvernements, employeurs et syndicats. Jusqu’au 21 juin, jour de clôture de la conférence qui verra l’intervention du portugais Antonio Guiterres, secrétaire général de l’ONU, 5 700 délégués provenant de 187 États membres doivent élaborer de concert une très attendue « Déclaration du centenaire. » 

 

 L’OIT : « Pas de paix universelle durable sans justice sociale »

L’OIT voit le jour le 11 avril 1919. Sa fondation, impulsée par les Etats signataires du traité de Versailles, poursuit plusieurs objectifs : sécuritaire, humanitaire, politique et économique. Dans son préambule, l’OIT affirme notamment [qu’] « une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale ». Le préambule affirme également la nécessité de défendre la liberté syndicale et le droit à la négociation collective. Dès sa création, l’OIT place parmi ses objectifs centraux la lutte contre le travail forcé et l’exploitation des enfants, l’égalité de rémunération pour un travail égal, la prévention du chômage et le droit à une protection sociale pour les travailleurs et leurs familles.

 

Son premier directeur est le français Albert Thomas, ancien militant syndicaliste et coopérateur, dirigeant de la SFIO et ministre de plusieurs gouvernements durant le premier conflit mondial. Sous sa direction, l’OIT adopte lors de ses deux premières années d’existence neuf conventions internationales et dix directives très ambitieuses en matière de régulation du travail. Au lendemain de la Grande dépression, les Etats-Unis rejoignent l’OIT, tout en restant à l’écart de la Société des Nations. En mai 1944, la Conférence annuelle de l’OIT adopte la Déclaration de Philadelphie. Ce texte fondateur, affirmant dans son premier article que « le travail n’est pas une marchandise » entend consacrer la reconnaissance à l’échelle internationale l’importance des questions économiques et sociales. La déclaration souligne l’importance de défendre la dignité des travailleurs « quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe ».

 

Devenue agence spécialisée de l’ONU en 1946, l’OIT est la seule institution de la Société des Nations à survire à la deuxième guerre mondiale. En 1969, l’institution reçoit le Prix Nobel de la Paix pour son cinquantième anniversaire. Depuis, son action est régulièrement saluée, notamment pour son programme mondial de lutte contre le travail des enfants. Son rapport annuel est une source de premier ordre pour mesurer la réalité du travail à l’échelle globale, informel et sans droit à la protection sociale ou liberté syndicale pour 60% de la population mondiale

 

Depuis 2012, le directeur général de l’OIT est le britannique Guy Ryder, ancien secrétaire général de la Confédération Internationale des Syndicats libres (CISL). Il a été reconduit à son poste pour 5 ans en novembre 2016.

 

Esprit de Philadelphie, es-tu là ?

 Le chemin est encore long pour que les 188 conventions de l’OIT soient adoptées par l’ensemble de ces Etats membres, aujourd’hui au nombre de 187. L’absence de liberté syndicale et de droit à la négociation collective, les discriminations liées au genre, le travail informel demeurent une réalité pour une majorité de la population mondiale au travail.

 

Dans les sociétés occidentales, la négation du rôle des corps intermédiaires, l’émergence de géants mondiaux qui se situent hors du champ conventionnel (Uber, Amazon, MacDonald et consorts) tendent à fragiliser la situation des salariés.

Dès lors, il apparait urgent de faire revivre « l’esprit de Philadelphie », selon l’ambitieuse déclaration de l’OIT de 1944. Ce texte fondateur, auquel le philosophe et juriste Alain Supiot a consacré un essai remarqué, demeure une source d’inspiration pour faire vivre « la justice sociale contre le marché total. »