Scandale de l’amiante : vers un naufrage judiciaire sans précédent ?

 20 ans d’investigation et un procès qui ne se tiendra sans doute jamais !

 

 

L’avis rendu, le 13 juin dernier par le parquet de Paris dans le dossier de l’amiante laisse peu d’espoir quant à la tenue d’un procès pénal. En effet, le ministère public appelle à la fin des instructions en cours.

 

Laissant un goût amer aux associations de défense des victimes, cette décision est motivée par le fait qu’il serait impossible de déterminer avec précision le début d’une intoxication à cette fibre – interdite en France depuis vingt ans. Très contestée, cette décision fait l’objet de nombreuses critiques de la part des victimes et des spécialistes du dossier. François Desriaux, rédacteur en chef de la revue Santé & Travail et vice-président de l’ANDEVA – partenaire de l’Ipse – n’hésite pas à invoquer « un déni de justice » dont les conséquences pourraient être désastreuses sur le plan sanitaire et politique.

 

Chaque année en France, on estime à 3000 le nombre de décès liées à l’amiante.

 

Deux décennies d’instruction longues et épuisantes qui pourraient bien aboutir à un non-lieu général. Sur le dossier de l’amiante, le parquet, dans ses réquisitions rendues le 13 juin, estime en effet qu’il est impossible de déterminer avec exactitude la date précise des contaminations et donc d’établir des responsabilités. Les trois juges d’instruction en charge d’enquêtes ouvertes pour certaines depuis 1996 pourraient bien abandonner toutes poursuites dans le dossier. Pour motiver sa décision, le parquet s’appuie sur un rapport de trois experts, commandé par les magistrats instructeurs l’an passé et rendu public en février 2017. Pour l’ANDEVA[1], c’est bien l’interprétation faite de ce rapport qui pose problème. Si les trois scientifiques admettent que toutes les personnes exposées à l’amiante n’ont pas forcément développé d’affections, ils avancent toutefois que celles-ci peuvent se manifester dès la première exposition à cette substance. Pour François Desriaux, il est donc possible de démontrer dans le cas de plaintes de personnes malades ou décédées la date précise de leur contamination « lorsqu’elles sont entrées dans l’usine ou lorsqu’elles ont été placées sur un poste où elles étaient exposées à l’amiante ».

 

L’avis du ministère public n’a pourtant pas entamé la détermination des associations de défense des victimes. Celles-ci se disent prêtes à se pourvoir en cassation si les magistrats instructeurs rendaient, selon le scénario le plus probable, une ordonnance de non-lieu. Attendu depuis des années par les victimes et leurs familles, le grand procès pénal de l’amiante doit avoir lieu, au risque, de délivrer un « permis de tuer que l’on délivre, une sorte d’amnistie anticipée accordée à tous ceux qui exposeraient des salariés ou des consommateurs à ce type de substances » pour François Desriaux.

 

L’écheveau des responsabilités pourra-t-il un jour être établi de façon nette et définitive ? Les entreprises poursuivies invoquent généralement le fait qu’elles se situaient dans la légalité, car ce n’est qu’en 1997 que la France s’est enfin décidée à interdire cette substance. Auparavant, elle avait toujours fait obstruction dans les projets de directive européenne ayant pour objet d’interdire ou de limiter l’usage de l’amiante dans le domaine de la construction. La nocivité de l’amiante était pourtant établie de longue date par l’Organisation Mondiale de la Santé. Les pouvoirs publics ont leur part criante de responsabilité dans ce qui est à ce jour le plus grand scandale sanitaire recensé en France sur ces cinquante dernières années.

Les autorités sanitaires imputent à l’amiante 10 à 20% des cancers du poumons. L’exposition à cette fibre pourrait provoquer jusqu’à 100 000 personnes d’ici à 2025. De quoi précipiter le cours de la justice ?

 

François Desriaux, intervenant régulier pour l’Ipse sera présent lors de la 44ème Rencontre Ipse qui se tiendra à Edimbourg les 30 et 31 août 2017.

 

[1] Association nationale de défense des victimes de l’amiante