Un essai capital pour appréhender le besoin de refonder la démocratie et renforcer la cohésion sociale

 

Traversées par une importante crise de la représentation politique, comment les démocraties européennes peuvent-elles renouer avec leurs promesses d’égalité ? Comment enrayer la progression continuelle de l’abstention observable au lendemain de chaque scrutin d’importance ? Soulevées à la faveur du mouvement des Gilets jaunes ou des récents scrutins nationaux dans plusieurs pays de l’UE, ces différentes questions seront au cœur de la prochaine campagne des élections européennes.  Julia Cagé, économiste et enseignante à Sciences-Po, propose dans son essai Le prix de la démocratie des solutions ambitieuses et radicales pour revitaliser l’implication citoyenne dans le débat public. Remarqué lors de sa publication en août 2018, cet essai s’avère précieux pour penser la crise de la démocratie en Europe.

 

Les démocraties européennes en marche vers la ploutocratie ?

 Un vote égale une voix. Ce principe fondamental des démocraties vient le plus souvent se fracasser contre le mur de l’argent. S’appuyant sur de nombreuses études consacrées au financement des partis politiques aux Etats-Unis et en Europe, Julia Cagé en conclut que « le jeu démocratique est de plus en capturé par les intérêts privés ». Loin de résulter d’un complot savamment orchestré par les puissances d’argent, ces dérives résultent en grande partie d’un manque d’implication des citoyens dans la vie politique. Pour l’essayiste, ce manque d’implication ne résulte pas d’un désintérêt pour la chose publique mais bien d’une perte de confiance envers les institutions.

 

Le poids toujours plus croissant des intérêts privés dans le financement des campagnes électorales a en effet débouché sur une dérive ploutocratique des démocraties occidentales. L’Europe ne semble pas épargnée par cette dérive qui s’observe depuis de nombreuses années aux Etats-Unis. Contre la logique du « 1 euro=1 voix », Julia Cagé propose une refonte en profondeur du financement des partis politiques, en plafonnant notamment les dons au-dessus de 200 euros ou encore en supprimant les déductions fiscales associées à ces dons. Dans les différents scénarios avancés par l’économiste, les partis politiques seraient presque exclusivement financés par de l’argent public.

 

Permettre à tous les citoyens, notamment les plus modestes, de cotiser au parti de leur choix, y compris pour une somme modique, limiter ou interdire les dons privés aux partis politiques constituent également autant de solutions afin de favoriser l’implication de l’ensemble des citoyens dans la vie politique. Ce qui semble aujourd’hui relever de la plus grande urgence pour limiter les conflits d’intérêts. Récemment, un reportage de la chaine France 2 révélait que le quatrième groupe politique au Parlement européen (ALDE, centre-droit) avait en effet perçu 425000 euros d’entreprises privées depuis 2014[1]. Parmi ces entreprises, on notait notamment la présence de géants de l’industrie pétrochimique tels que Bayer et Monsanto ou les GAFA, notoirement connus pour leur politique d’optimisation fiscale à grande échelle.

 

Le pari d’assemblées législatives mixtes socialement

Outre l’assainissement du financement des partis politiques, Julia Cagé propose également de revoir la composition des assemblées législatives. En France, les députés ne sont en moyenne que 4,6% à se déclarer employés. Pour palier à cette situation qui alimente la défiance envers les institutions, Julia Cagé propose notamment qu’un tiers des sièges des assemblées soit réservé à des listes représentatives de la réalité socioprofessionnelle d’un pays. En somme, la constitution de listes « paritaires » comprenant au moins 50% d’employés, d’ouvriers ou de nouveaux précaires (travailleurs des plateformes, contrats courts, etc.). Ces listes pourraient être présentées par des partis ou mouvements politiques existants ou même des organisations professionnelles ou syndicales.

 

Une meilleure représentation des citoyens au sein des assemblées législatives ne peut que contribuer à améliorer la cohésion sociale et politique dans une nation. Défendant notamment les réussites les plus manifestes de la démocratie sociale en Europe, Julia Cagé avance également une série de propositions afin de garantir une stricte parité de genre dans les assemblées législatives. En outre, s’appuyant sur une étude du politologue américain Nicolas Carnes, elle défend l’idée qu’une plus forte présence d’élus issus du salariat dans les assemblées législatives aurait également la possibilité de renforcer et de donner une nouvelle légitimité aux syndicats.

 

Limiter le poids des intérêts privés dans le financement de la vie politique, revoir la composition des assemblées législatives de sorte à enrayer la défiance envers les institutions, inciter les citoyens à se mobiliser pour redonner vigueur à nos démocraties… Les nombreuses pistes avancées par Julia Cagé s’avèrent d’un très grand intérêt pour surmonter les différents écueils auxquels sont aujourd’hui confrontés les démocraties européennes.

 

Camille Boucher

 

 

[1] Interdits dans de nombreux pays européens, les dons d’entreprises aux groupes parlementaires européens sont en revanche autorisés.