Une charte pour de nouveaux développements ?

Intervention de Jérôme Vignon, Président des Semaines sociales de France, prononcée dans le cadre de la XXXVIIIeme Rencontre Ipse, les 4et5 octobre 2012 à Dublin.

 

Jérôme VIGNON

Jérôme VIGNON
Président des Semaines sociales de France
source:Semaines sociales de France

 

Fidèle à son travail d’éclaireur  de la conscience de la Protection sociale en Europe, IPSE a voulu pour cette 38eme rencontre européenne, nous mettre en présence d’une tension constructive: entre d’un coté le refus d’une simple logique d’austérité et de l’autre la volonté de promouvoir ce que nous désignons comme  » de nouveaux développements « .

 

 La Charte européenne des entreprises de la protection sociale peut elle nous apporter quelque chose face à l’urgence née de la crise ?

 

Son adoption illustre une étape vigoureuse dans l’effort d’identification et de visibilité européenne que méritent les «entreprise de la protection sociale ». En tant que charte volontaire, elle est à l’image d’organismes qui tout en manifestant leur soutien à une sécurité sociale obligatoire, revendiquent leur autonomie et leur capacité d’initiative. Je voudrais rendre hommage à la ténacité de animateurs d’IPSE qui pendant deux ans ont mené à bien cette tâche à priori très difficile consistant à donner un visage commun aux organismes multiples qui se recommandent de la Protection sociale.

 

A la lumière de la crise cependant, nous sommes obligés de nous poser des questions dérangeantes. La Charte n’a-t-elle pas un caractère défensif, visant à promouvoir les valeurs et l’identité singulière des entreprises signataires? Le combat que ces entreprises entendent mener pour constituer une alternative face aux entreprises d’assurance de caractère financier, ce combat est il à la hauteur des « réformes systémiques, de la protection sociale », que nous avons évoquées cet après midi?

 

Je voudrais donc mettre la Charte européenne adoptée au Printemps dernier sur la proposition d’IPSE à l’épreuve du message que nous avons entendu au cours de la précédente table ronde : Je voudrais pour ma part répondre clairement oui, à ces interrogations. Ce qui m’amène à dire un mot sur la crise. Si l’on a à son égard une vue globale, systémique, nous ne pouvons qu’être découragés, car personne ne semble en mesure d’en dénouer tous les fils. Si nous nous interrogeons, au contraire sur ce que nous pouvons faire, à notre place fût elle modeste, alors les choses changent. Or justement, la charte d’IPSE exprime un changement que les entreprises de protection sociale peuvent accomplir ensemble, porteur d’issue à la crise, évitant de recommencer ce qui a échoué.

Cependant mon affirmation optimiste sera assortie de conditions.

Mon premier point sera de montrer que le principe de solidarité auquel les signataires de la charte sont assignés, n’est pas seulement une valeur, une conviction. La disposition à la solidarité apporte aussi une vision, une façon de voir qui fait découvrir des solutions pertinentes au regard des réformes structurelles dont la protection sociale a besoin. La solidarité d’une certaine manière, ouvre des horizons.

 

 Mon second point consistera à insister sur des conditions concrètes e mise en œuvre de la charte. Celle-ci ne sera pas d’elle même créative ou mobilisatrice. Elle implique des énergies et des volontés neuves 

 

La solidarité est visionnaire

La charte ouvre vers de nouveaux développements non pas tant en ce qu’elle rejette une logique de concurrence, d’appels d’offre, ou de soumissions à priori à des objectifs d’intérêt général. Mais elle ouvre sur de nouveaux développements en raison d’une vision qui lui est propre de ce qu’on nomme efficacité ou utilité sociale. Cette vision  se nourrit justement du fait que la pratique quotidienne de l’entreprise qui souscrit à la charte est solidariste.

 

 Laissez-moi souligner trois aspects de cette « clairvoyance solidariste ». Ils porteront sur les retraites complémentaires, la solidarité entre les générations, les soins de longue durée.

  • En matière de retraite complémentaire, la vision solidariste distingue au-delà de chaque individu, les liens de réciprocité qui se tissent entre les générations, entre les métiers, voire entre les professions. C’est qu’elle est née d’une perception collective du travail, en opposition avec la tendance constante à sa fragmentation, à sa déshumanisation. Aujourd’hui les transformations du travail poussent à la fois à sa personnalisation et à la multiplication des relations de complémentarité, pas obligatoirement à la fragmentation. Les Directeurs de ressources humaines avisés sont ceux dont les stratégies allient capacité d’adaptation personnelle, participation à l’organisation collective du travail, intelligence commune de sa finalité. L’avenir d’une branche ou d’une profession dépendent moins que jamais du talent de quelques personnes, mais de la perception d’un destin collectif. Les solutions solidaristes à la question de l’adéquation des retraites trouvent dans cette notion d’un destin collectif une justification profonde. En même temps ces solutions solidaristes, s’avèrent en définitive plus performantes que les logiques d’assurance individuelle ou sur mesure, ainsi que le démontrent les puissants fonds de pension professionnels à gestion paritaire néerlandais.
  • De même; la vision solidariste est elle aujourd’hui particulièrement pertinente pour donner corps aux réalités nouvelles de l’interdépendance entre les générations. Celle-ci, en effet, ne fonctionne plus seulement des entrants vers les sortants. Les dysfonctionnements de nos marchés du travail, auxquels paradoxalement les jeunes ont un accès de plus en plus difficile, soulignent combien il devient nécessaire de mieux organiser, la solidarité des générations sortantes avec les entrantes. L’enjeu de ce passage de relai est de construire des relations de coopération, d’accueil et d’apprentissage, dont la pointe est une vraie transmission d’expérience et de culture. Nul n’est mieux placé que le paritarisme pour réussir ce passage de relai beaucoup plus complexe que de seulement « laisser la place aux jeunes »? « La charte en tout cas y invite lorsque les entreprises signataires s’obligent » à conserver un modèle de gouvernance qui associe et implique les personnes physiques pour le compte desquelles elles travaillent . C’est en tout cas déjà l’esprit d’initiatives pionnières prises par des entreprises de la protection sociale , telles que « Ensemble demain » qui organise systématiquement, de l’école à la maison de retraite , le brassage intergénérationnel, ou encore « emploi jeunes « , qui mobilise des salariés pour la réussite des jeunes entrants sans diplôme, ou encore « l’outil en main », un réseau d’artisans mutualistes qui fait découvrir aux jeunes la richesse des liens entre l’intelligence et la main, ou encore le « fonds pour le bien être et le bien vieillir » lancé à l’initiative d’un groupement d’entreprises mutualistes et paritaires.
  •  Dernier exemple, la solidarité sait aussi être synonyme de sollicitude. C’est le cas lorsqu’elle conçoit l’évolution des services de soins personnels à partir d’une écoute réelle des besoins de chaque personne. En ce sens elle constitue bien une alternative à une approche privilégiant des réponses standardisées sur un « marché des soins ». Les approches standardisées travailleront toujours dans le sens d’une fragmentation des services peu compatible avec  les stratégies de prévention en matière de santé que recommandent toutes les institutions internationales. La prévention passe en effet par la proximité des personnes, cette proximité dont la charte fait justement un atout majeur, une sorte de marque de fabrique. Replacer la personne au cœur de l’organisation de la protection des personnes vulnérables, fragiles ou handicapées, n’est pas toujours possible. Mais c’est à tout le moins une ambition à laquelle souscrivent par principe les entreprises de la Protection sociale engagées par la signature de la charte, lorsqu’elles développent des activités dans l’accompagnement et les soins de longue durée. Cette ambition les conduit à de « nouveaux développements », consistant à privilégier des prestations de service intégrées à l‘encontre de l’hyper-spécialisation.

Donner souffle et vie à la charte.

Cependant, la capacité effective de la charte à soutenir  au plan européen, ces nouveaux développements dont  nous parlerons demain, ne se vérifiera que si la mise en œuvre de la charte devient l’occasion d’un renouveau collectif des entreprises de la protection solidaire elle même. La crise les interpelle, la charte les met sur la voie. Pour qu’un tel renouveau se produise, je vous soumets trois conditions.

 

  1. En premier lieu, pour ouvrir réellement sur de « nouveaux développements » audibles, à l’échelle européenne, il faut se donner les moyens de faire vivre l’engagement de la charte relatif au développement social. Je cite encore la charte. « En tant qu’acteurs de l’inclusion et du maintien du lien social, les entreprises de la Protection sociale s’engagent à être pionnières dans la détection de nouveaux besoins et dans la diffusion des solutions nouvelles qu’elles ont mises au point ». Cette résolution demande une organisation méthodique, car rien n’est plus conservateur qu’un organisme de prévoyance et d’assurance collective. Il faut mettre à profit les restructurations et les fusions parmi les entreprises de la protection sociale, crise oblige, pour susciter des lieux d’observation des bonnes pratiques, des tètes chercheuses de la solidarité, dont ce soit la mission prospective en quelque sorte de développer ces fonctions pionnières, d’accumuler des savoirs expérimentaux, de mettre en valeur ces faits porteurs d’avenir issus de l’action sociale pour l’inclusion.
  2. En second lieu, une mise en œuvre active de la charte pour de nouveaux développements suppose sans doute que notre Institut, IPSE, puisse jouer un rôle un peu moins « soft » que celui que rappelait notre président Alain CHENOT, en introduction de notre après midi, lorsqu’il le présentait comme un outil de dialogue et de coopération entre tous les partenaires de la protection sociale. L’effectivité de la charte appelle une forme de suivi, les Irlandais diraient de monitoring, en vue d’aiguillonner les signataires, de donner un «moment» public à leurs engagements. Les outils d’un tel suivi se nomment « revue des pairs », définition d’objectifs chiffrés, mise en place de processus participatifs, capacité pour IPSE d’émettre des recommandations… IPSE serait-il alors seulement un Institut réalisant des études ? Sans doute pas. Mais dans les « nouveaux développements » attendus devrait aussi figurer un approfondissement de la gouvernance collective de la Protection sociale et donc du collectif de ses entreprises.
  3. Enfin, une troisième condition vise à ce que la charte des entreprises de la protection sociale devienne vraiment européenne. Dans deux ans, nous fêterons les 10 ans du grand élargissement qui a fait passer l’UE de 15 à 27 membres. Mais combien parmi ces nouveaux membres sont aujourd’hui gagnés par l’idée qu’entre la sécurité sociale obligatoire et l’assurance privée, il existe les entreprise de protection sociale ? Nous nous plaignons de ce que le conseil des ministres ne relaie pas l’idée d’un statut européen de mutuelle ? Mais qu’avons-nous fait pour trouver à l’Est, au centre, au nord de l’Europe, des partenaires qui pourraient s’approprier cette idée ? Ne sommes nous pas quelques fois victimes d’une sorte de complexe d’antériorité des fondateurs? Pourquoi la dimension européenne ne nous aiderait elle pas à nous rapprocher du monde des pensions professionnelles du second pilier qui partage nos valeurs de solidarité et jouent un rôle décisif dans l’influence des directives européennes ? Pourquoi ne serions nous pas touchés par l’élan que le Commissaire Barnier est en train de donner aux « entreprises sociales ». ? Certes leur champ déborde celui de l’assurance, mais elles pourraient complètement souscrire à cette affirmation de notre charte selon laquelle « la performance économique est au service de  l’intérêt collectif et des besoins de la personne».

Je ne sais pas si l’espérance consiste à mettre toute son énergie sur ce qui ne dépend pas de nous, selon la formule qui rend rêveur notre délégué général. Mais je suis sûr que l’espoir et la confiance renaissent dans les communautés qui retrouvent le goût de donner visage humain à leur avenir. Entreprises de la protection sociale, nous sommes l’une de ces communautés. La charte, avec ce quelle exprime du pouvoir créatif de la solidarité, a de quoi fonder notre espoir de participer à un renouveau européen.