Entre nouveautés, ambitions et contradictions, la Commission Juncker surprend

Dévoilée le 10 septembre, la composition des 28 membres du collège de Jean-Claude Juncker se veut plus politique. Organisée autour de sept vice-présidents et se concentrant sur des priorités essentielles telles que la croissance, l’emploi, la compétitivité ou encore la simplification administrative, cette nouvelle Commission semble en rupture avec la précédente.

 

Commission Jucnker - photo dans l'article

Un premier vice-président chargé du « mieux légiférer »

 

L’une des grandes nouveautés dans l’exécutif européen est la nomination d’un premier vice-président assistant le Président de la Commission en la personne du Néerlandais Frans Timmermans, chargé de l’optimisation réglementaire, des relations interinstitutionnelles, de l’État de droit et de la Charte des droits fondamentaux. « Il sera mon bras droit » a ainsi déclaré Jean-Caude Juncker à propos de M. Timmermans, qui aura donc pour mission de lutter contre la bureaucratie excessive de la Commission et favoriser la « better régulation » (mieux légiférer), tout en étant le gardien de la Charte des droits fondamentaux et de la subsidiarité. Ce nouveau poste est significatif de la volonté du nouveau Président de la Commission de se concentrer sur des domaines où l’Union européenne peut réellement avoir un impact et de laisser les autres compétences aux gouvernements nationaux et régionaux. « Nous devons montrer aux citoyens que l’Union européenne peut résoudre les problèmes à grande échelle et s’abstenir d’intervenir sur les enjeux mineurs » a-t-il expliqué. « Nous devons faire mieux, nous devons faire moins ».Une priorité qui doit donc rendre plus efficace l’action et le fonctionnement de l’Union européenne afin de retrouver l’adhésion des populations européennes au projet européen. « C’est notre dernière chance » a ainsi déclaré Jean-Claude Juncker, faisant allusion aux résultats des dernières élections de Parlement européen marquées par la montée des partis europhobes.

 

Six vice-présidents pour mieux coordonner les politiques

 

C’est également l’un des grandes nouveautés de cette nouvelle Commission : la création de six postes de vice-présidents, chargés d’animer et de coordonner les groupes de commissaires, chacun dans des domaines particuliers. Ils sont censés faire sauter les cloisons entre les directions générales et « filtrer » les initiatives des uns et des autres, grâce un droit de veto permettant « d’arrêter toute initiative, dont des initiatives législatives » des commissaires travaillant sous leur supervision. L’objectif est donc encore là de se concentrer sur l’essentiel et de favoriser l’interaction et la coordination entre commissaires. Jean-Claude Juncker se défend toutefois de vouloir faire de ces vice-présidents des « supercommissaires ».

 

Outre Frederica Mogherini (Italie), nommée il y a quelques jours au poste de haute représentante pour les Affaires étrangères, on compte parmi ces vice-présidents Jyrki Katainen (Finlande), vice-président de l’Emploi et la Croissance ou encore Valdis Dombrovskis (Lettonie), vice président à l’Euro et au Dialogue social.

 

Quelle marge de manœuvre pour les commissaires ?

 

Si les vice-présidents doivent guider et coordonner les travaux, ce sont bien les commissaires qui auront les portefeuilles et seront en première ligne pour porter et défendre leurs dossiers. Prenant pour exemple Pierre Moscovici, à qui a finalement été confiée la responsabilité des affaires monétaires et économiques, Jean-Claude Juncker tenté d’expliquer la répartition des rôles. Ainsi, Valdis Dombrovskis, vice-président en charge de l’euro et du dialogue social, travaillera « étroitement » avec le commissaire français et la commissaire belge, Marianne Thyssen, à la tête des affaires sociales, pour réconcilier les impératifs de la consolidation budgétaire avec la dimension sociale. Cependant, ce sera bien Pierre Moscovici qui représentera la Commission lors des réunions de l’Eurogroupe rassemblant les ministres de l’Économie de la zone euro.

La même question se pose également pour d’autres portefeuilles comme celui de l’Economie numérique attribué à l’Allemand Günter Oettinger qui impliquera également l’Estonien Ansip ou encore l’Energie, portefeuille de l’Espagnol Miguel Arias Canete et qui concerne également la vice-présidente Slovène Alenka Bratusek. Seule la pratique montrera si ce système a pour vocation de « mettre sous tutelle » et donc d’affaiblir les puissants portefeuilles des commissaires, ou bien si à l’inverse les postes de vice-présidents ne seront que des titres honorifiques, ou encore si l’équilibre et la coordination sera réellement possible.

 

Des nominations contradictoires

 

Certains portefeuilles attribués par Jean-Claude Juncker n’ont pas manqué de susciter des interrogations voir l’indignation. En effet, le Luxembourgeois semble avoir choisi des commissaires à contre-emploi sut des sujets qui concernent en premier chef leur pays d’origine. Ainsi, malgré l’opposition allemande, Jean-Claude Juncker a bien confié à Pierre Moscovici la surveillance des équilibres budgétaires, alors même que la France vient d’annoncer qu’elle ne tiendrait pas son objectif de passer sous les 3 % de déficit en 2015, comme promis à Bruxelles. Le fait que le britannique Jonathan Hill hérite du portefeuille des services financiers et leur régulation est tantôt vu comme « un cadeau » au Royaume-Uni – qui menace de sortir de l’Union européenne – tantôt comme une provocation (Verts/ALE).

 

Certains s’étonnent également de voir que le portefeuille de l’immigration a été confié à Dimitri Avramopoulos, alors que la Grèce est très critiquée pour sa gestion des flots de réfugiés venus du Sud. L’Education, la Culture, la Jeunesse ainsi que la Citoyenneté échouent entre les mains de Tibor Nabravcics, commissaire hongrois dont le pays est depuis 3 ans régulièrement pointé du doigt par Bruxelles en raison de ses réformes jugée anti-démocratiques et anti-européennes. A cette liste peuvent s’ajouter le commissaire maltais, Karmenu Vella, à l’environnement (Malte est peu connu pour ses priorités environnementales), ou encore le commissaire espagnol à l’énergie et à l’action climatique, Miguel Arias Canete, jouissant d’une mauvaise réputation sur le plan écologique et déjà accusé de conflit d’intérêts.

 

Face à la controverse que créent ces nominations, Jean-Claude Juncker assume ses choix : « Les opinions nationales comprendront peut-être mieux les problèmes s’ils sont exposés dans leur langue » a déclaré, amusé, le futur président.

 

Des femmes à des postes clés

 

Point épineux lors de la composition de la nouvelle Commission, le nombre de femmes composant le nouveau collège Juncker sera de neuf, soit identique que la précédente Commission Barroso. L’équité n’est donc pas au rendez-vous mais Jean-Claude Juncker a tenu sa promesse d’attribuer des portefeuilles importants à celles-ci : la Concurrence, la Politique régionale, la Justice, les Consommateurs et l’Egalité des genres ou encore l’Emploi et les Affaires sociales ainsi que le Marché intérieur, l’Industrie, l’Entrepreneuriat et les PME reviennent ainsi respectivement à la Danoise Margrethe Vestager, la Roumaine Corina Cretu, la Tchèque Vera Jourova, la Belge Marianne Thyssen et la Polonaise Elzbieta Bienkowska.

 

Auditions au Parlement dès le 29 septembre

 

Au total, on compte donc 14 conservateurs du PPE, 5 libéraux (ADLE), 1 conservateur britannique et 8 sociaux-démocrates. Chaque commissaire devra désormais être approuvé individuellement par le Parlement européen pour voir entérinée sa prise de fonction. Les auditions commenceront le 29 septembre prochain. En 2009, celles-ci avaient notamment mené au retrait de la candidate bulgare, Roumiana Jeleva, désignée pour l’Aide humanitaire, suite aux critiques sur ses intérêts financiers et ses faibles compétences dans son domaine d’attribution.

 

 

COMPOSITION DE LA COMMISSION JUNCKER 2014-2019

 

 SEPT POSTES DE VICE-PRÉSIDENTS

 

Frans Timmermans (Pays-Bas), Premier vice-président
Kristalina Georgieva (Bulgarie), vice-président du Budget et des ressources humaines
Alenka Bratusek (Slovénie), vice-président de l’Énergie
Jyrki Katainen (Finlande), vice-président de l’Emploi et la Croissance
Valdis Dombrovskis (Lettonie), vice président du Dialogue social

Andrus Ansip (Estonie), vice-président du marché du Digital
Frederica Mogherini (Italie), haute représentante pour les Affaires étrangères

 

 

VINGT COMMISSAIRES

 

Vera Jourova (République tchèque), à la Justice
Günther Oettinger (Allemagne), à l’Économie numérique
Pierre Moscovici (France), commissaire européen aux affaires économiques
Marianne Thyssen (Belgique), aux Affaires sociales
Corina Cretu (Roumanie), à la Politique régionale
Johannes Hahn (Autriche), aux Affaires européennes
Dimitris Avramopoulos (Grèce), à l’Immigration et aux Affaires intérieures.
Vytenis Andriukaitis (Lituanie), à la Santé
Jonathan Hill (Royaume-Uni), au Service financier
Elzbieta Bienkowska (Pologne), au marché Intérieur
Miguel Arias Canete (Espagne), commissaire chargé du Climat et de l’Énergie
Neven Mimica (Croatie), au développement international
Margrethe Vestager (Danemark), au portefeuille de la concurrence
Maroš Sefcovic (Slovaquie), aux Transports
Cecilia Malmstrom (Suède), au portefeuille du Commerce
Karmenu Vella (Malte), aux Affaires maritimes
Tibor Navracsics (Hongrie), au portefeuille de la Culture
Carlos Moedas (Portugal), à la Recherche, la Science et l’Innovation
Phil Hogan (Irlande), à l’Agriculture
Christos Stylianides (Chypre), aux Aides humanitaires